(Implication et réflexion sur le choix du tissu comme médium principal dans ma pratique d’artiste.)
C’est un peu par hasard que j’ai commencé à tailler des formes dans le tissu. J’ai toujours été attiré par les planches anatomiques ou botaniques, certainement par ce qu’il y a un lien de formes entre la sphère végétale et organique. Très vite le plat du tissus a commencé à se remplir de bourre acrylique ou de fibres végétales pour prendre place dans l’espace, pièces par pièces, s’emboîtant ou s’accrochant l’une à l’autre pour donner ces formes invasives. (Prolongation de moi-même ?)
De fil en aiguille, tel le cheminement parfois archaïque de la pensée, le tissu appelle le geste, la forme et l’intention. Il y a une forte intrication entre le ressenti et l’empreinte de ces « émotions » dans mon utilisation du textile. Par rapport à la fonction première que nous nous faisons du textile à travers le vêtement, l’habitat,- et tous ses dérivés- la notion de protection ou d’identité est toujours très présente. A travers les modes, les tissus qu’ils soient portés ou utilisés pour le décor, sont le reflet tant des technologies que des systèmes de pensées de l’époque auxquels ils appartiennent: apparences, statut social, géographie….
A mon échelle, je travaille le tissu comme une femme Européenne qui a comme exemple d’autres artistes qui ont déjà déstructuré le travail du textile pour le sortir de sa fonction première. (Louise Bourgeois, Annette Messager, Marie Ange Guilleminot ………)
Il y a cinq ans, je travaillais le tissu de façon détaché de mon propre corps. La notion d’objet, de sculpture comme un mot posé sur un socle. Une scénographie d’un état d’être, une mise en scène de la pensée. Un cabinet de curiosité utilisant des formes figurées de l’anatomie composant un « herbier » ou un puzzle à aménager au gré des positionnements.
Et justement cela se pose… Tout comme le vêtement vous positionne. Alors j’ai taillé dans plusieurs de mes vêtements, à commencé par les chutes de ma robe de mariée, ma jupe préférée élimée jusqu’à la trame… Puis d’autres vêtements ne m’appartenant pas mais qui retraçaient un instant de la vie d’un ou d’une autre ou j’y voyais une résonance pour servir mon propos. Le corset d’Emma Bovary, la chemise de nuit donnant vie à une psyché noire et fantasmagorique, ou le tee shirt en soie d’une marque de prêt à porter chiné en vide grenier faisant apparaître des cerveaux de multiples formes….
L’objet sculpture ainsi obtenu prend place tant dans le porté que dans l’espace. Le lieu de création tient tant dans le geste qu’il implique que dans sa provenance. Une sorte de freak show nomade et expérimentale. Tirer le voile pour donner du sens et de la poésie, même si elle part d’une idée toute personnelle de la réalité, prenant ses bases dans le parlé et les fondements de mon imagination.
Eléments de références
Malgré la caricature toujours actuelle du genre suggéré sous l’appellation de « travaux d’aiguille », il y a une action, une idée ancestrale dans le geste de coudre. Quelque soit la création ou l’artiste, l’acte de passer du fil dans une aiguille et de coudre des pièces de tissus entre elle, implique un positionnement. Il n’est pas si surprenant que l’on est autant d’expression française sur le fil, le tissu: Tissu de mensonge, de fil en aiguille, une aiguille dans une botte de foin, cousu de fil blanc, fil conducteur, le fil rouge, du fil à retordre, le fil du rasoir, fil d’Ariane, ne tenir qu’à un fil, la trame du temps. (Double sens Broder : exagérer, embellir, inventer…)
Tout comme la mythologie a utilisé ces mêmes symboles pour figurer le temps, le lien en positif et négatif, l’issue…
Les Parques et leur fil qu’elles peuvent décider de couper. Pénélope qui tous les soirs défait son ouvrage pour éloigner les prétendants. Ariane et son fil, qui permis à Thésée de sortir du Labyrinthe et échapper au Minotaure.
Le fil et toute matière textile sont liés au propre comme au figuré à l’existence de l’humain, pour sa protection, sa survie, et ensuite les apparences, la filiation, le lien social qu’il soit réel ou inventé de toute pièce.
Automne 2018,
Jennifer Mackay.
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